Il est possible de rendre espoir aux salarié·es qui, dans la période antérieure, ont considéré que le syndicalisme, clivé en deux blocs antagonistes, n’était plus en mesure d’obtenir des victoires substantielles. Si le mouvement sur les retraites de 2023 n’a pas gagné sur sa revendication phare, il a été d’une puissance inespérée et il ouvre des perspectives. L’unité d’action qui s’est réalisée à cette occasion peut ne pas être conjoncturelle.
Renforcer le syndicalisme de transformation sociale …
Les salariés ont besoin d’un syndicalisme de transformation sociale qui soit renforcé, en terme de couverture des différents pans du salariat, en particulier dans le privé, en terme de capacité d’analyse et de proposition, en terme de force d’entraînement et de mobilisation. Il est urgent de mettre en place un « cadre intersyndical pérenne » qui permette aux organisations syndicales qui se reconnaissent dans le syndicalisme de transformation sociale de travailler ensemble. Le mandat du congrès de Metz nous oblige et l’intérêt nouveau de la CGT pour la FSU l’autorise. Il faut le mettre en œuvre, en faisant tout pour que ce cadre intersyndical pérenne s’élargisse, sans exclusive et d’abord à Solidaires, soit un lieu de débat, d’élaboration et de prise en compte de la complexité du champ social, renouvèle les pratiques syndicales, plus démocratiques, plus unitaires, plus en phase avec les attentes du salariat d’aujourd’hui, inscrive son action dans la perspective d’une société égalitaire, féministe, écologiste.
La transformation sociale a besoin de revendications, de mobilisations, de rapports de forces, de débouchés politiques. Nous pouvons et nous devons y travailler, aux côtés de la CGT, dans ce « cadre intersyndical pérenne ».
Mais, pour inventer un « nouvel outil syndical », le principe de réalité nous impose de procéder par étapes. Car cet outil n’existe pas encore. Car les conditions de son invention ne sont pas réunies dans l’instant : en l’absence de Solidaires, l’évolution organique la plus probable à ce stade serait purement et simplement une absorption de la FSU par la CGT. La CGT et la FSU sont dans un rapport de force totalement déséquilibré. La CGT, n’a pas l’intention d’être autre chose qu’elle-même, et c’est bien pour cela qu’elle n’a pas encore surmonté la crise structurelle interne qu’elle traverse depuis la fin de la période Viannet/Thibault. Dans un scenario d’absorption, la FSU devrait se départir de pans entiers de son implantation car la structuration de la CGT n’est pas compatible avec la sienne1. Une absorption impliquerait d’abord un éclatement de la FSU. La territoriale, les ministères autre que l’éducation sont pourtant des champs de développement importants. Affaiblie, car désarticulée et privée de capacité d’expansion, comment la fédération pèserait-elle dans les débats internes compliqués de la confédération? La FSU y perdrait en outre une capacité précieuse à parler et agir de façon autonome dans l’intersyndicale et dans le débat public.
Pour renforcer le syndicalisme de transformation sociale, comment la FSU peut-elle alors se rendre utile ? L’est-elle encore ? De quelle place peut-elle continuer à l’être ou le serait-elle plus ? La FSU a-t-elle épuisé son rôle historique : Représenter, organiser et parler au nom de ceux qui s’occupent de la jeunesse, de ceux qui sont la fonction publique, de ceux qui oeuvrent pour les services publics, tous ces agents de la fonction publique, titulaires et précaires? Notre rôle va au-delà de notre nombre parce que le champ qui est le nôtre, de par sa nature, est intimement lié à l’intérêt général, au contrat social. Mais aussi parce que nos pratiques syndicales, notre implantation, notre fonctionnement démocratique, notre crédibilité, nos liens avec les autres acteurs sociaux (associations, intellectuels…) sont un atout rare dans le monde syndical actuel. Ainsi, si la FSU a la responsabilité de contribuer au renforcement du pôle des organisations syndicales de transformation sociale, cela doit s’inscrire dans une stratégie de renforcement du syndicalisme dans son ensemble, en tant que mode d’organisation et d’expression du salariat dans sa diversité. Parce qu’il n’y a d’issue pour personne dans le cadre d’un syndicalisme clivé.
… pour ne pas retomber dans les errements stratégiques du syndicalisme clivé …
Le problème n’est pas tant la division, c’est-à-dire la diversité des organisations et des sigles, car cela peut aussi être un atout pour répondre à la diversité du salariat. Mais c’est plus surement le clivage du syndicalisme en deux blocs antagonistes : le syndicalisme réformiste d’une part et le syndicalisme de transformation sociale d’autre part. L’unité d’action du mouvement sur les retraites n’est pas le fruit du hasard. Durablement en échec, pour des raisons différentes, chacun avait besoin de sortir du clivage pour rétablir un rapport de forces trop dégradé par rapport au pouvoir et aux employeurs. Il ne s’agit bien entendu pas de nier les différences d’orientation entre les différentes organisations. La CFDT ou FO ne sont pas devenues des organisations révolutionnaires, et nous savons à quel pôle nous appartenons : le pôle de transformation sociale. Mais le paysage syndical de 2023 n’est plus celui issu de 2003.
Alors que le débat public est confisqué par la valse morbide de la droite et de l’extrême-droite, les forces politiques progressistes semblent en voie de marginalisation, de fragmentation, de disparition. Notre génération de militants a rendez-vous avec l’histoire, la mauvaise. Si elle n’est pas certaine, l’issue la plus probable à la crise sociale, politique, démocratique, que nous traversons est l’arrivée au pouvoir en 2027 de l’extrême-droite, sans parler des catastrophes géopolitiques ou environnementales qui nous mènent au bord du gouffre.
… mais bien renforcer le syndicalisme et l’organisation du salariat dans son ensemble !
La FSU peut ainsi oeuvrer utilement au maintien du cadre de l’intersyndicale, pour mener les luttes, bien sûr, mais aussi pour contribuer à l’élaboration d’alternatives économiques et sociales crédibles, à vocation majoritaire, sous la forme d’une plateforme revendicative qui soit mise en débat avec les forces progressistes : le mouvement associatif, les intellectuels, les chercheurs … Il est de notre responsabilité de représentants du salariat de proposer, à partir du germe que représente l’intersyndicale de 2023, une démarche unitaire dans la durée qui vise à élaborer une plate-forme revendicative qui rassemble les salariés et qui réponde tout à la fois aux ravages des politiques libérales radicalisées et à ceux à venir de l’extrême-droite nationaliste et raciste. « L’Alliance écologique et sociale » mais aussi « le Pacte pour le pouvoir de vivre » sont des tentatives, des exemples de ce qu’on pourrait faire, à la condition d’agir dans l’unité.
C’est à ce prix, celui de la refondation d’un programme de mandature qui soit charpenté par une plateforme revendicative unitaire, qu’un changement du rapport de force politique redeviendra possible en 2027.
C’est au prix de ce travail d’élaboration, vraiment unitaire parce que sans exclusive, sur la formation et l’emploi, les qualifications, les services publics, la jeunesse, le féminisme, la précarité, l’environnement, le financement de la dépense publique, la démocratie et la démocratie sociale …qu’un nouvel outil syndical pourrait prendre forme à terme.
1Dans la confédération, l’éducation nationale et le supérieur ne sont pas dans la même fédération que la fonction publique territoriale, ni que les autres ministères.