Oui cette lutte contre la « réforme » des retraites est exemplaire, et à plusieurs titres. Exemplaire du point de vue des mobilisations d’abord.

Bien sûr il est trop tôt pour Unité et Action de tirer le bilan d’une lutte qui est loin d’être achevée.

La priorité est bien de continuer à amplifier l’action, à attirer dans l’engagement un nombre toujours plus important de salarié.es, et d’abord le mercredi 15 mars.

Mais comment ne pas souligner la force de ces temps forts qui scandent la vie du pays tout entier depuis maintenant deux mois, avec des journées de grèves et de manifestations réunissant des millions de personnes, avec des cortèges remarquables y compris dans des villes petites et moyennes, pour la première fois depuis 2010, voire 1995 ou 2003 ?

C’est là le signe, outre d’un profond rejet d’une nouvelle régression sociale touchant à la capacité de la population de vivre une retraite décente et sereine, d’une profonde crise sociale, d’un mouvement où se conjuguent de nombreuses sources de mécontentement, qu’il s’agisse de la question salariale – donc du partage des richesses – des conditions mais aussi du sens du travail.

Exemplaire également de ce que le mouvement dit de la place du syndicalisme dans la société française. Que n’a-t-on pas dit, jusqu’au plus haut sommet de l’État, et chez quelques adeptes ducommentaire sociologique superficiel, sur sa faiblesse, son incapacité à représenter le salariat et donc sur son illégitimité à s’exprimer en son nom ?

Ce n’est pas nier ses difficultés – réelles – comme la trop faible syndicalisation, l’émiettement, les limites de son implantation dans les nouvelles couches précarisées du salariat, que de constater la capacité de l’intersyndicale à fixer ensemble une stratégie, à éviter postures et démagogie, à tenir une ligne simple et claire : la lutte jusqu’au retrait de cette loi de régression, et à être suivie par une masse imposante de salarié.es qui répondent présent.es dans les temps forts ainsi décidés.

En cela, et là encore sans préjuger des suites, ni en tirer prématurément des enseignements pour l’après mouvement quand tant reste encore à faire, comment ne pas voir à quel point la capacité du syndicalisme français à être entendu, suivi et légitimé par le monde du travail est étroitement corrélée à sa capacité à dépasser ses divisions pour parler d’une seule voix ?

Pour Unité et Action, sans passer pour autant sous silence les divergences de tactique ou d’analyses des dossiers revendicatifs entre organisations, c’est bien une démonstration supplémentaire de l’inanité de la logique des « camps syndicaux » qui désespère tant le monde du travail et réjouit si fort celui ducapital.

Exemplaire enfin en tant que nouvel épisode de la crise politique qui n’en finit pas d’affaiblir les bases de la démocratie française. Ce sont deux formes de légitimité qui s’affrontent : non pas celle de la représentation nationale contre celle de la rue, comme tentent de le faire accroire les philistins qui nous gouvernent, mais la légitimité étroitement institutionnelle, celle du Président se croyant investi des pleins pouvoirs pour 5années, et celle issue des forces vives de la société, parmi lesquelles syndicats et associations, en capacitéd’analyser un projet et d’en déceler les vices, donc de le rejeter.

Comment ne pas voir que l’obstination à se dire mandaté pour un projet libéral, quand la victoire du Président Macron était essentiellement lié à une mobilisation de défense de la République, ne faitqu’alimenter le rejet du politique, l’antiparlementarisme et nourrir la tentation du débouché nationaliste ?

Tout ceci n’est en rien en dehors du champ des responsabilités du syndicalisme, dans la mesure où celui-ci s’est toujours inscrit, depuis les grandes luttes républicaines de la fin du 19ème siècle, jusqu’au combat pour approfondir les libertés politiques et sociales, en passant par la lutte antifasciste de 1936 ou de 1944, dans le cadre de la défense des institutions démocratiques. Le monde du travail, à commencer par les salarié.es immigré.es, ainsi que les femmes, aurait tout à perdre à l’arrivée aupouvoir d’une force nationaliste et xénophobe.

Or c’est bien un scénario possible qui s’écrit aujourd’hui à l’encre de l’intransigeance présidentielle et gouvernementale.

Pour Unité et Action, les priorités sont donc claires.

D’abord tout faire pour un nouveau temps fort massif, le 15 mars, le jour de la commission mixte paritaire.

Soutenir partout les actions locales le 16 mars, dans l’hypothèse d’une adoption de la loi à l’assemblée nationale.

Si c’est le cas, poursuivre et chercher à encore amplifier les mobilisations par la suite, en refusant la soumission du calendrier revendicatif à l’agenda parlementaire, le combat contre le CPE en 2006 en atteste. Rien n’est inéluctable !

Globalement, préserver comme un acquis précieux le cadre efficace et reconnu par le salariat de l’intersyndicale interprofessionnelle. Toute tentation d’en sortir, par le jeu des appels à une « radicalisation » vide de réalité car trop minoritaire, ne saurait être engagée au risque de perdre une partiedes salarié.es mobilisé.es.

La FSU, comme elle l’a fait depuis le début du mouvement sur ses champs de responsabilité première, continuera à mobiliser sur la base des choix des personnels, et à renforcer la dynamique unitaire, clé d’un succès toujours possible.

Lorsque le mouvement sera terminé, donc après chacun.e l’espère la victoire, il sera temps de chercher à maintenir vivant l’esprit de ce mouvement, à travers notamment un travail commun, avec les organisations qui le souhaiteront, sans aucune exclusive, sur les chantiers de demain, qu’il s’agisse de la répartition des fruits du travail, les services publics ou l’établissement d’une véritable démocratie sociale,bien loin de la tentation autoritaire aujourd’hui à l’œuvre par le pouvoir en place.

Le syndicalisme français ne pourra pas esquiver par ailleurs une question aussi délicate qu’incontournable, au regard des positions des droites macronistes et LR, et alors que l’ombre du RN n’en finit pas de grandir,celle de sa capacité à contribuer à créer les conditions d’une alternance progressiste crédible à Gauche en 2027. Moins que jamais indépendance ne peut équivaloir à indifférence au politique.

Mais il sera temps d’en reparler après les mobilisations à venir : d’abord réussissons le 15 mars, puis soyons présent.es et visibles le 16 mars, et toutes les journées qu’il sera nécessaire de construire avec lespersonnels, pour la victoire !