Plusieurs de ses syndicats nationaux conservent, principalement dans l’Education nationale, un poids relatif et absolu en adhérents et électeurs qui, même s’il peut subir ça ou là une érosion, ne se retrouve guère dans d’autres secteurs du salariat.
Pour autant, ces élections professionnelles se traduisent essentiellement par un statu quo dans la FP, avec un paysage syndical qui reste fragmenté d’autant plus que les résultats proches de plusieurs organisations syndicales ne permettent pas de
dégager de ligne majoritaire.
Cette division, qui s’ajoute au poids de la conjoncture économique et sociale, constitue un frein considérable à l’action, concurrence électorale aidant, tandis que la multiplicité des organisations syndicales n’est guère lisible pour nombre de salariés.
Enfin, dans une situation où le nombre d’électeurs est devenu un enjeu majeur en terme de
légitimité et de moyens de fonctionnement, l’accès de la CFDT, par une moindre perte de voix que la CGT, au rang de première organisation syndicale public et privé ne peut que nous interroger.
A la FSU de jouer tout son rôle pour encourager, sans pour autant en rabattre sur ses propres objectifs revendicatifs, à la création d’arc unitaires larges et dépassant – sans les nier – des clivages certes réels mais qui, lorsqu’ils deviennent le prétexte du refus de toute alliance même conjoncturelle, se transforment dès lors en handicaps nuisibles aux intérêts des seuls salariés.
La politique austéritaire et injuste socialement menée depuis de nombreuses années et accentuée par l’arrivée d’Emmanuel Macron a provoqué l’irruption d’un mouvement social qui se poursuit en ce début d’année.
Le mouvement des Gilets Jaunes, en ses débuts, s’apparentait à une révolte populaire autour du refus de la limitation à 80 km/h et de la hausse des prix du carburant en raison, notamment, de la programmation d’augmentation des taxes liée à la politique de décarbonation.
Les discussions sur les ronds-points, les débats qui s’en sont suivi dans les médias ont permis de faire émerger d’autres revendications et de les structurer : le problème du pouvoir d’achat des salariés et des retraités a fait consensus et a évolué vers une exigence de justice fiscale (retour de l’ISF, meilleures répartitions des richesses). Persistent cependant des revendications que nous ne partageons pas : financement de l’action publique, et parfois stigmatisation des fonctionnaires et renvoi des étrangers.
Le renvoi dos à dos des différentes politiques, la contestation de la représentativité des syndicats et parfois le refus rendent complexes les échanges avec le mouvement. Face à cette contestation qui se prolonge, le président a été obligé d’annoncer des mesures en faveur du pouvoir d’achat et l’organisation d’un débat citoyen.
Mais les mesures annoncées (augmentation de la prime d’activité, exonération de la hausse de la CSG pour les retraités dont le revenu n’excédera pas 2 000 euros, demande aux employeurs privés de prévoir une prime) n’ont pas répondu aux attentes fortes des gilets jaunes et de la population. De plus, ces mesures contribuent à l’affaiblissement des ressources de la protection sociale et aucune inflexion de la politique économique et sociale libérale de la majorité n’est envisagée, le président réaffirmant qu’il poursuivra
les réformes prévues : assurance chômage, réforme de la Fonction publique et celle des retraites.
Ce mouvement des Gilets jaunes, ainsi que dans une certaine mesure celui des Stylos rouges, est sans doute aussi un symptôme des difficultés actuelles du syndicalisme à incarner de manière crédible la
possibilité d’alternatives économiques et sociales.
Qu’il en soit de même pour la Gauche politique française, renforce le risque que le nationalisme soit cécu comme une alternative plausible au macronisme.
Riche dans sa complexité d’enseignements sur la situation politique, économique et sociale du pays, mais aussi en creux sur les défis qu’il lance au syndicalisme, le mouvement des Gilets Jaunes, pose d’une part la double question des revendications communes mais aussi des divergences, et en conséquence celle de l’attitude à adopter vis à vis de ce mouvement.
Nul ne peut nier l’ampleur d’un mouvement entamé désormais depuis plus de deux mois. Certes il mobilise physiquement beaucoup moins de participants qu’une manifestation syndicale moyenne, mais sa capacité à durer, son inventivité, sa popularité certes déclinante mais toujours majoritaire, sa capacité à forcer le pouvoir à infléchir non son programme certes mais son calendrier, son discours et sa méthode en font un évènement social de première importance, et sans doute un tournant du quinquennat, autant d’évolutions dont le syndicalisme a su porter dans le passé (1995, 2003, 2006 voire 2010) mais qu’il peine aujourd’hui à provoquer.
Le syndicalisme de lutte et de transformation sociale que porte la FSU partage certaines des revendications des Gilets Jaunes, notamment l’exigence de mesures de justice fiscale et d’amélioration du pouvoir d’achat, dans une logique de réduction des inégalités, sociales et territoriales, aujourd’hui plus fortes et plus obscènes que jamais, la dénonciation politique enfin d’un Président et d’une majorité élus pour barrer la route à l’extrême droite, et qui révèle chaque jour davantage son caractère profondément autoritaire et libéral.
Le syndicalisme doit dénoncer les formes d’intimidation judiciaire ou policière vis à vis des manifestations politiques et avec force réclamer l’arrêt immédiat de l’utilisation d’armes qui pour n’être pas létales n’en sont pas moins dangereuses et mutilantes.
S’agissant d’autres aspects de ce mouvement, le devoir du syndicalisme consiste à rester vigilant sur des dérives qui ne concernent certes pas l’ensemble du mouvement, mais qui en constituent une des réalités, beaucoup plus inquiétantes.
Le rejet de tout discours raciste, antisémite – hélas toujours présents et de plus en plus décomplexés dans le confort de l’anonymat des réseaux sociaux – de toute attaque contre la liberté d’expression et de la presse, de toute remise en cause de la forme démocratique de notre République – ne saurait faire débat entre syndicalistes.
Le syndicalisme, et plus globalement le mouvement social et ouvrier, n’ont jamais prôné – sauf dans le cadre d’un régime dictatorial ne lui laissant pas d’autre choix, et y compris dans ce cas toujours avec réticence – le recours à la violence verbale et bien sûr physique, et ce quelles qu’en soient les cibles.
A cet égard, le choix par les diverses majorités de rester indifférents aux manifestations pacifiques des travailleurs – défilés ou grèves – réduisant la légitimé démocratique au seul résultat des élections présidentielles et législatives ne fut pas seulement discutable mais irresponsable, car créant les conditions d’un ensauvagement démocratique lourd de menaces pour la démocratie elle-même et donc pour les travailleurs.
Certes la rue ne gouverne pas, mais faute de n’être jamais entendue elle peut à juste titre s’embraser et emporter avec elle les toujours fragiles équilibres démocratiques.
Dès lors, le syndicalisme – et notamment la FSU – se doit d’éviter deux écueils : celui d’une approche concurrentielle, réduisant les mouvements qu’il n’a pas suscités à des rivaux, voire des adversaires, d’autant que plusieurs revendications fortes sont communes.
En fonction des réalités locales de ces mouvements si protéiformes et a-syndicaux, le syndicalisme ne devrait-il pas mettre l’accent sur les convergences, et notamment mener le débat au plus près des mobilisations locales ?
Cependant, il doit se garder de tout complexe et de tout suivisme vis à vis d’un mouvement si divers, si contrasté dans ses aspirations, qui refuse du reste le principe même de la représentation et des formes démocratiques d’organisation qui sont les nôtres et qui ne recherche pas, en tout cas s’agissant des Gilets Jaunes, les convergences.