Le SNUipp-FSU depuis de longs mois dénonce les manigances du ministère Blanquer qui vise à transformer les enseignants en exécutants. Mais d’où vient cette analyse ?

Le ministre Blanquer, fin politique, a exercé longtemps dans l’Education Nationale avant de devenir ministre et a écrit de nombreux ouvrages. Aussi sa politique est claire et est ton sur ton avec celle du président Macron. Ils n’ont aucune envie de corriger l’Ecole pour faire qu’elle soit moins inégalitaire, ils veulent au contraire promouvoir une élite, les fameux « premiers de cordée » si chers au président.

Cette politique vise une école efficace, qui ne coûte pas trop et où on gère les personnels comme des flux et du stock, au plus juste.

Grand communiquant, Blanquer sait qu’il faut manier les parents comme des clients et habiller tout cela : d’abord attaquer l’école, culpabiliser les enseignants en insistant sur les difficultés de l’école, tourner le dos aux pédagogistes réputés responsables de l’échec et montrer qu’on va résoudre le problème scolaire. A moindre coût (en supprimant les plus de maîtres, et des postes en rural ou en maternelle) on dédouble les classes : puissant alibi pour contrer ceux qui voient bien qu’on ne vise plus la démocratisation de l’école.

Ensuite il faut aller vite : il s’agit de donner les fondamentaux à quelques uns. A grand renfort de guides, on donne des méthodes proches de la mécanique pour les enfants qui peinent et on s’occupe de l’échec scolaire par du renforcement en agrémentant la remédiation par du numérique. Les tâches de ces élèves sont découpées en phases simplifiées qui font l’objet de répétition jusqu’à ce que l’élève sache et cela sera sanctionné par une évaluation. En abrutissant l’élève jusqu’au test suivant, on sait qu’il va bien répondre, qu’importe qu’il n’ait pas mis de sens et qu’il l’oublie après. L’intérêt ne porte que sur une démonstration aux évaluations internationales après il quittera le système scolaire, tout est prévu.

Pour que la pilule passe, on remplace la culture pédago par les neurosciences. Outil alléchant mais totalement instrumentalisé. C’est d’ailleurs dénoncé par des chercheurs en neuro sciences. La montée en puissance des neurosciences s’accompagne de propos sans nuances, d’affirmations sans recul et sans tenir compte de la différence entre le laboratoire et ce qui se vit en classe.

Il suffit ensuite d’entamer une politique du dénigrement, sur la méconnaissance des enseignants de ce pan essentiel de la recherche, sur le fait que la liberté pédagogique s’apparente à l’anarchie, sur le fait qu’il y aurait des bonnes et moins bonnes pratiques, de meilleurs manuels que d’autres et d’entamer tranquillement un formatage. Tout est en place, un conseil scientifique à la botte du ministre, une main mise sur la formation initiale et continue, et un pilotage par les évaluations. L’administration au service du ministère constitue le bras armé qui viendra nous dire comment faire.

Et si d’aucun s’affole en disant qu’il faut aussi apprendre à penser et à exprimer sa pensée plutôt que de faire des sons dès la petite section, ou si un autre pense qu’il vaudrait mieux former le citoyen, aider l’élève à comprendre le monde, ou encore travailler davantage la compréhension, on lui opposera le salaire au mérite ou le rendez vous de carrière.

Ce formatage des pratiques nous fait perdre notre professionnalité, nie notre expertise, celle qui fait que nous mettons en place des projets pour donner du sens, celle qui fait que nous adaptons nos pratiques pour aider nos élèves, celle qui fait que nous prenons du plaisir à mettre à notre main des outils pensés par d’autres.

Si nous laissons faire, nous serons des exécutants, qui apprendrons de la mécanique aux élèves, qui donnerons aux parents des illusions d’ apprentissages, qui perdrons le sens et l’intérêt de notre métier et qui serons comme d’autres salariés avant nous totalement démotivés.

Mais nous n’en arriverons pas là car comme nous avons lutté contre les EPSF, nous lutterons pour préserver le beau de ce métier. Alors oui, c’est grave docteur d’être de simples exécutants mais ça se soigne et collectivement en plus !