Cette note propose  quelques éléments de réflexion développés par Sigrid Girardin en vue du congrès.

Contexte
Le procès Mazan crée une véritable déflagration dans notre société. À l’instar du procès d’Aix-en-Provence, il marquera certainement un tournant dans notre histoire, concernant peut-être la législation sur le viol et, plus largement, la « culture du viol » dans nos sociétés.
Parce qu’il est public, les éléments, voire des verbatim, du procès, sont accessibles à toutes et à tous via les médias et réseaux sociaux. La lecture et/ou l’écoute des éléments du procès génère des réactions fortes de la part de personnalités, mais aussi d’une grande partie de la population. Une réelle prise de conscience de l’ampleur du fléau des violences sexistes et sexuelles est engagée, et les débats vont, cette fois-ci, au-delà du cercle restreint des féministes qui dénoncent depuis longtemps le parcours infernal des victimes lorsqu’elles parlent et décident de porter plainte.

Cette note propose donc quelques éléments de réflexion en vue du congrès. Mais plus largement, en tant que syndicalistes, nous devons être armé.es pour porter des revendications fortes pour une société égalitaire, libérée du système coercitif de violences sexuelles dont les enfants et les femmes sont les victimes dans une très large majorité. Nous devons aussi être en capacité d’analyser les choix politiques qui pourraient être envisagés après le procès. En mai, E. Macron s’est exprimé en faveur d’une évolution de la loi sur le viol pour y introduire le consentement. Les débats traversent le mouvement féministe, syndical et politique.

Histoire récente de la législation sur le viol

  • 1980 : Quatre ans après le procès d’Aix, une avancée majeure dans la législation française. Le viol est désormais reconnu comme un crime dans le Code pénal (articles 222-23 à 222-26). Il est passible de 15 ans de réclusion criminelle. Il est défini comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte ou surprise constitue un viol. »

  • 1992 : Réforme du Code pénal – Le viol est définitivement classé dans les crimes contre la personne.

  • 2010 : Renforcement des mesures de protection des victimes, introduction des ordonnances de protection et reconnaissance du viol conjugal.

  • 2018 : La loi Schiappa allonge le délai de prescription des crimes sexuels sur mineurs à 30 ans (contre 20 ans auparavant).

  • 2021 : Renforcement de la protection des mineurs en instaurant une présomption de non-consentement pour les mineurs de moins de 15 ans en cas de pénétration sexuelle.

Chiffres et éléments sur les dysfonctionnements systémiques

  • Beaucoup de viols sont correctionnalisés : du fait des procédures longues et coûteuses et du manque de moyens, les victimes de viols sont incitées à concéder à déqualifier le viol en agression sexuelle. L’argument donné à la victime de porter plainte pour agression sexuelle plutôt que pour viol est une plus grande rapidité dans la procédure. Mais si le viol est un crime, l’agression sexuelle est un délit. Le délit implique des enquêtes plus légères et des peines moins lourdes. En réalité, cette déqualification du viol bénéficie surtout aux agresseurs.

  • 1 % des plaintes seulement aboutit à une condamnation.

  • Beaucoup de plaintes pour viols sont classées sans suite : une circulaire interministérielle de 2022 incitait même au classement sans suite afin de désengorger les tribunaux.

Origine du débat actuel pour introduire le consentement

  • Tout le mouvement social et toutes les féministes veulent une meilleure définition du viol pour mieux protéger les victimes et en finir avec l’impunité des agresseurs. Au regard des chiffres et du traitement judiciaire des viols, on est clairement face à un fait de société et une atteinte aux droits des femmes.

  • Certain.es voient dans l’introduction du consentement dans la définition du viol un progrès, quand d’autres y voient un risque.

  • Pour rappel : la France a ratifié la convention d’Istanbul, qui contient déjà la notion de consentement. Donc, la France et les féministes ne rejettent pas globalement cette notion.

Mais, pour le moment, il existe beaucoup de réticences et d’arguments légitimes à l’introduire dans la définition du viol.

Le consentement et ses limites

  • Le viol est le seul crime où le consentement de la victime est interrogé : dans les tribunaux, la victime doit systématiquement se justifier de son non-consentement. Cela signifie qu’il existerait une « présomption de consentement » de la part de la victime, qui doit prouver son non-accord : la victime est, en quelque sorte, mise en accusation (cf. le procès Mazan). La culpabilité du viol pèse donc sur la victime, alors même que le consentement n’est pas inscrit dans la loi. C’est d’ailleurs le seul crime où ces pratiques existent. En cas d’homicide, par exemple, on n’interroge jamais une victime survivante pour savoir si elle consentait à être attaquée par son agresseur. Et de toute façon, même si une personne commandite son meurtre, le commandité sait qu’il n’a pas le droit de tuer, c’est inscrit dans la loi.
    Les tribunaux (mais aussi les services de police, les juges d’instruction, etc.) se concentrent souvent sur le non-consentement de la victime plutôt que sur les stratégies de l’agresseur afin d’étayer un des trois éléments constitutifs de la loi : violence, menace et/ou surprise.

  • L’absence de recherche de consentement a été introduite dans la loi pour les viols sur mineur.es de moins de 15 ans. C’est une avancée importante. Auparavant, certains procès posaient la question du potentiel consentement d’un enfant. Certaines féministes pensent même qu’on pourrait élargir cette absence de consentement à l’ensemble des victimes de viols : il y a bien sûr débat sur cette proposition, tout comme sur celle d’étendre cette mesure aux viols commis dans des situations hiérarchiques.

  • Le consentement implique une attitude passive, où les femmes seraient là pour acquiescer ou non à une sollicitation.

  • Si le consentement est introduit dans la loi, donc inscrit dans le marbre, le risque est grand de faire peser encore plus fortement la charge de la preuve sur les victimes. La recherche des indices et des preuves ne s’opérerait plus sur le mis en cause mais se tournerait légalement vers la victime.

Analyses FSU-UA

Changer la loi ne résoudra pas tous les problèmes, notamment ceux liés aux moyens dédiés à la Police et à la Justice, ainsi qu’aux problèmes de formation des agent.es qui accueillent, orientent et traitent les viols. Il faut donc faire attention à ne pas focaliser uniquement le traitement judiciaire du viol sur la seule définition du viol. Il existe des dysfonctionnements systémiques à tous les niveaux et de nombreuses défaillances sont constatées dans le parcours complet des victimes. Il y a cependant un enjeu fort dans les premiers accueils du parcours judiciaire des victimes : un nombre significatif de féminicides, par exemple, ont été précédés de plaintes classées sans suite. Il faut aussi agir pour protéger les femmes en amont des procès. Parler uniquement de la définition supposerait que le reste fonctionne.

Que faut-il pour mieux protéger les victimes ?

  • La loi actuelle sur le viol comprend des termes importants : « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte ou surprise constitue un viol. » Ces trois éléments indispensables ne sont pas toujours suffisamment explicites et nécessiteraient des textes qui précisent ce que le Code pénal entend par menace, surprise et contrainte. Sans compter que la société évolue : la soumission chimique, comme outil pour violer et élément constitutif du viol, semble être de plus en plus utilisée, et n’a été que récemment identifiée.

  • Une prise en compte plus opérationnelle du phénomène d’emprise (ou de coercition) et du phénomène de sidération en cas de peur extrême. Deux phénomènes bien connus et identifiés par les associations spécialisées dans les violences sexuelles et sexistes, et maintenant reconnus par les services de police et de justice (quand les personnels sont formés). Prendre en compte ces phénomènes permettrait d’appréhender ce qui amène une femme à « concéder » (préférable à « céder ») quand elle est sous emprise. La peur extrême génère un phénomène de sidération (une déconnexion vitale avec le réel pour survivre à l’agression), qui affecte la mémoire au moment des faits. Dans les procès, beaucoup de victimes disent : « je n’ai pas crié, pas bougé car j’ai cru que j’allais mourir. »

Propositions à réfléchir

Il faut agir à tous les niveaux, c’est pourquoi une loi cadre (ou globale), portée par le mouvement féministe, serait importante.

L’Espagne a créé des juridictions spécialisées, dédiées aux violences sexuelles, et pas simplement des « pôles ». Il y a un besoin important de formations spécifiques sur toutes les violences sexistes et sexuelles, avec des connaissances solides sur le continuum des violences, leurs mécanismes, mais aussi sur les conséquences de ces violences sur les femmes, en particulier sur les psycho-traumatismes. Ce choix opéré en Espagne a été efficace.

Il faut également prévenir ces violences et en finir avec la « culture du viol » :

  • Mettre en œuvre une éducation à la vie sexuelle et affective rigoureuse, effective et financée.

  • Réfléchir à des moyens d’en finir avec l’industrie pornographique, où la violence est érigée en norme sexuelle et dont toute une génération a été et est toujours abreuvée (55 % des hommes et 51 % des garçons de 12 à 14 ans, 65 % des 16-18 ans consomment du porno – chiffres du rapport du Sénat). La pornographie est une école du viol : le viol est érotisé, la violence est normalisée. (Mais cela nécessiterait une note à part entière.)