Cette note produite par Sigrid Girardin propose des éléments concrets, actuels et factuels sur le système prostitutionnel. Elle doit permettre à chacune et chacun de répondre et d’argumenter dans les débats pour contrer les velléités réglementaristes – quelles soient conscientisées ou non. Son objectif est d’outiller rigoureusement les militant.es pour défendre notre mandat syndical abolitionniste.

ENJEUX ET CONTEXTE

La France a réaffirmé sa position abolitionniste en 2012 après une campagne collective portée par des associations, des syndicats (dont la FSU, CGT et Solidaires) et des parlementaires de différents partis et bords politiques. Dans cette visée, la loi de 2016 a concrétisé et renforcé cette position en supprimant le délit de racolage passif (introduit par N. Sarkosy en 2003), en instaurant la pénalisation du client et en créant des mesures d’accompagnement pour les personnes qui souhaitent quitter la prostitution.

Depuis les années 1980 et plus fortement depuis 2016, des courants et lobbyistes ultra-libéraux oeuvrent à tous les niveaux (France, Europe…) pour tenter de faire basculer les pays vers une position réglementariste. Certaines associations féministes réglementaristes et des collectifs LGBTQI+ soutiennent aussi cette position au prétexte de « liberté » individuelle et de conquérir des droits pour les personnes en situation de prostitution.

Les débats sont vifs entre les différentes positions et ne peuvent souffrir que de peu de nuances dans la mesure où ils participent d’une vision diamétralement opposée concernant : l’émancipation des femmes, l’égalité entre les femmes et les hommes, ce que l’on entend dans le concept même de travail, la marchandisation et la contractualisation des corps, les violences faites aux femmes, les intérêts du monde de la finance (le capitalisme), la colonisation….

Les débats traversent les associations mais aussi les syndicats et le monde politique. Dernièrement encore la FSU, CGT, Solidaires, CFDT ont publié une motion contre les tentatives récurrentes de fragiliser la position abolitionniste de la France et de dépénaliser le proxénétisme (au conseil de l’Europe comme au parlement français). Les lobbyistes et/ou certains parlementaires instrumentalisent systématiquement une prétendue défense des personnes en situation de prostitution pour dépénaliser le proxénétisme et s’attaquer à la loi de 2016.

Cette note propose des éléments concrets, actuels et factuels sur le système prostitutionnel. Elle doit permettre à chacune et chacun de répondre et d’argumenter dans les débats pour contrer les velléités réglementaristes – quelles soient conscientisées ou non. Son objectif est d’outiller rigoureusement les militant.es pour défendre notre mandat syndical abolitionniste.

Quelques données et définitions

Réfléchir sur la prostitution implique d’examiner le système prostitutionnel dans sa globalité. Si la situation des personnes en prostitution est à analyser de manière rigoureuse, les solutions pour défendre leurs droits et leur dignité ne doivent pas se concentrer uniquement sur leur activité au risque de complètement passer à côté de ce fléau de société. Il est donc indispensable de décentrer le regard : la prostitution ne relève pas de choix individuel mais bien d’un système social et marchand qui exploite le corps de femmes.

Système prostitutionnel :

– la prostitution n’implique donc pas uniquement les prostituées mais d’autres acteurs : les réseaux mafieux, les clients, les proxénètes… Le client est celui qui achète un acte sexuel par l’argent ; le proxénète est celui qui tire profit de la prostitution grâce à l’argent des clients et à l’exploitation sexuelle du corps de femmes.

– le système prostitutionnel est donc le système qui autorise et organise l’achat et la vente de l’accès au corps d’autrui.

– Il est massivement genré : les femmes en sont les principales exploitées et les hommes les acheteurs. Il érige en son cœur la mise à disposition des corps des femmes et des filles au profit des hommes et se fonde sur le maintien des corps et de la sexualité dans le champ du marché.

– Ce système prend racine dans diverses oppressions et se trouve à la croisées de toutes les dominations : patriarcat, racisme, capitalisme, colonialisme… mais aussi la guerre et la militarisation. Il cible les groupes les plus précaires sur le plan social, économique, culturel, géographique, ethnique….

Partout dans le monde, les groupes les plus discriminés sont surreprésentés dans la prostitution, en majorité des femmes et des filles : autochtones, femmes appartenant aux minorités ou aux plus basses castes, migrantes et réfugiées, victimes de violences sexuelles. En France, plus de 85 % des personnes prostituées sont des femmes, pour près de 100 % d’hommes clients. Depuis 1995, une très grande majorité des personnes prostituées en France sont des femmes étrangères (issues principalement de Bulgarie, de Roumanie, du Nigéria ou encore de Chine). Inséparable des guerres, des violences, de la précarité et des destructions, vivier des proxénètes et des trafiquants, le système prostitueur s’articule autour de plusieurs systèmes de domination : domination masculine, domination économique et sociale, domination coloniale. Conservatoire du sexisme, moteur pour l’ultra-libéralisme, il était devenu incompatible avec des sociétés démocratiques soucieuses de protection des droits humains, de dignité des personnes et d’égalité entre les femmes et les hommes. Passage Issu de Cap-International : ONG, coalition féministe et laïque, composé de 35 associations et de survivantes de la prostitution qui agissent dans 28 pays.

Le proxenétisme

Le proxénétisme est le fait d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui en en tirant profit, en en partageant les produits ou en recevant de l’argent d’une personne se livrant à la prostitution. Le proxénétisme incluse le fait d’embaucher, d’entraîner, de détourner une personne ou d’exercer sur elle une pression pour qu’elle se prostitue. Le proxénétisme est puni de sept ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende.

Lien entre prostitution et violences

La prostitution est inséparable des violences sexistes et sexuelles. Les violences commises sur les enfants (viols et incestes) sont identifiées comme un facteur de vulnérabilité majeur (et encore plus quand elles n’ont pas été réparées). Quel qu’en soient le lieu et le mode d’exercice, le huis clos prostitutionnel forge une zone de non droit où s’exercent impunément des violences de tous ordres : insultes, humiliations, agressions, viols et même meurtres. En France, les personnes prostituées sont a minima 6 fois plus exposées au viol que la population générale et 12 fois plus au risque de suicide (enquête Prostcost). Toutes les études montrent que le premier des auteurs de ces violences est le client prostitueur. Au-delà de ces violences, c’est l’acte sexuel imposé qui constitue lui-même une violence comme l’attestent les dommages physiques mais aussi psychiques (expropriation de soi, dissociation) et les traumatismes présentés par les personnes prostituées. Or, cette violence contre les femmes était la dernière à voir ses victimes pénalisées au titre du délit de racolage, alors que ses auteurs demeuraient impunis.

RAPPEL DES DATES ET DES LOIS

En France, la législation sur la prostitution a évolué au fil des années. Elle progresse en mettant l’accent sur la protection des personnes prostituées tout en cherchant à décourager l’achat des actes sexuels.

Loi Marthe Richard (1946) : Fermeture des maisons closes (appelées à l’époque « bordels » ou « maisons de tolérance »), abolition de la prostitution réglementée qui existait depuis 1804 et renforcement de la lutte contre le proxénétisme. La plupart des tenanciers proxénètes qui exploitaient les femmes étaient impliqués dans la collaboration durant la seconde guerre mondiale. La loi visait à libérer les femmes de l’exploitation sexuelle et de la mafia qui gérait ces lieux (1400 recensés à l’époque). La prostitution en tant que telle est restée légale. Cette loi signe le passage d’une politique réglementariste à une politique abolitionniste en France.

Loi de sécurité intérieure (2003)

Sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy, la loi sur la sécurité intérieure a introduit une infraction de racolage passif. Cette loi pénalisait les personnes en situation de prostitution sans renforcer d’aucune manière la lutte contre le proxénétisme.

Loi de 2016 – Loi de pénalisation des clients

C’est la réforme la plus récente et la plus significative sur la prostitution en France. Elle vise à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées. Elle repose sur le fait que la prostitution n’est pas un travail mais une des pires violences faite aux femmes – la prostitution étant est un obstacle à l’égalité et une atteinte à la dignité humaine.

Pour la 1ere fois, la loi interdit tout acte sexuel imposé par l’argent. Elle dépénalise les personnes prostituées et engage la société à leurs côtés et en développant une politique nationale de sortie de la prostitution. Cette loi permet d’extraire le corps humain et la sexualité du champ du marché.

– Pénalisation des clients : L’achat d’actes sexuels est désormais illégal sous peine d’une amende de 1500€ (3750€ en cas de récidive). Objectif : décourager la demande et lutter contre l’exploitation sexuelle.

– Suppression du délit de racolage passif : Cette disposition criminalisait les personnes prostituées plutôt que de les protéger.

– Accompagnement des personnes prostituées : La loi prévoit des mesures d’accompagnement social (PSP : parcours de sortie de la prostitution) pour celles qui souhaitent quitter la prostitution, y compris un dispositif d’insertion sociale et professionnelle, ainsi qu’un titre de séjour pour les personnes étrangères victimes de prostitution ou de traite.

Limites de cette loi : Si l’intention de la loi va dans le bon sens, le manque criant de moyens dédiés ne bénéficie pas assez aux personnes en situation de prostitution. Au-delà des moyens humains insuffisants pour véritablement pénaliser les clients, les parcours de sortie de prostitution sont sous financés (343 euros par mois, titre de séjour provisoire de 6 mois, politique d’accès au logement très compliqué dans les secteurs en tension …..). Beaucoup de femmes se retrouvent sans solution viable pour quitter la prostitution. C’est particulièrement vrai pour la plus grande part des personnes en situation de prostitution que sont les femmes migrantes et sans papiers.

Loi 2013 : Lutte contre la traite des êtres humains :

La France, par cette loi est engagée dans la lutte contre la traite des êtres humains. Elle réprime dorénavant sévèrement la traite à des fins d’exploitation sexuelle et collabore avec d’autres pays pour combattre ces réseaux internationaux.

  • Arguments contre : D’autres estiment que reconnaître la prostitution comme un travail reviendrait à accepter une forme d’exploitation sexuelle institutionnalisée. Les féministes abolitionnistes, en particulier, considèrent la prostitution comme une violence intrinsèque contre les femmes, qui perpétue les inégalités de genre. Elles rejettent l’idée de légitimer ce qu’elles perçoivent comme une marchandisation du corps.

  • Les débats sur la prostitution en France reflètent des tensions profondes entre des approches abolitionnistes et celles qui défendent une régulation de l’activité en tant que travail.
  • Approche abolitionniste : Pour les abolitionnistes, la prostitution est souvent liée à la traite et à l’exploitation des femmes. Ils estiment que la pénalisation des clients, en réduisant la demande, contribue à affaiblir les réseaux de traite. Ils considèrent que toute forme de régulation ou de légalisation de la prostitution faciliterait, au contraire, l’action des trafiquants.
  • Point de vue des travailleurs du sexe : De nombreuses travailleuses du sexe rétorquent que confondre prostitution et traite des êtres humains invisibilise leur situation et nie leur autonomie. Elles demandent à ce que des politiques spécifiques soient mises en place pour lutter contre la traite, sans pour autant stigmatiser les personnes prostituées qui exercent leur activité de manière indépendante.

5. Féminisme et prostitution : une division interne

Le mouvement féministe en France est divisé sur la question de la prostitution. Les féministes abolitionnistes et celles prônant la reconnaissance du travail sexuel s’opposent sur plusieurs points.

  • Abolitionnisme : Pour les féministes abolitionnistes, la prostitution est une forme de domination patriarcale et de violence sexiste. Elles militent pour la suppression totale de la prostitution, et pour des politiques visant à soutenir les femmes afin qu’elles n’aient plus à recourir à cette activité.
  • Pro-recognition : D’autres féministes, y compris des collectifs de travailleuses du sexe, estiment que la prostitution peut être un choix éclairé pour certaines personnes. Elles plaident pour que les droits des TDS soient reconnus et que la sécurité des personnes soit priorisée, plutôt que d’essayer d’éradiquer cette pratique.

Conclusion

Les opposants à la loi de 2016 dénoncent les effets pervers qu’elle a sur les personnes prostituées, tandis que ses partisans estiment qu’elle est essentielle pour lutter contre l’exploitation et la traite. L’enjeu principal reste de trouver un équilibre entre la protection des personnes prostituées et la lutte contre l’exploitation sexuelle, tout en tenant compte des revendications contradictoires qui animent ce débat complexe.