1995 : un mouvement social inédit dans sa puissance et sa durée, classique dans sa forme – une grève dure à l’appel de plusieurs organisations syndicales enracinées – fait reculer un gouvernement. Indice autant que cause de l’affaiblissement du syndicalisme, les pouvoirs publics choisissent depuis 2003 de ne plus respecter les règles tacitement en vigueur depuis la Libération et qui, encadrant les formes de la négociation salariat/ patronat, en sécurisaient et pacifiaient l’exercice : les organisations syndicales mobilisent par la grève et la manifestation, le décompte de leurs démonstrations incite ou non le gouvernement à ouvrir des négociations, voire à reculer. De la grève des mineurs en 1963, à celle des enseignants du 93 en 1998, cette ritualisation/codification du conflit social offrait des perspectives au mouvement social, confortait les syndicats dans leur rôle central dans la négociation sociale, et limitait les violences nées du choc des intérêts de classe. L’affirmation que “la rue ne gouverne pas”, l’effacement du souvenir des temps de violence répressive exacerbée, la délégitimisation des revendications sociales comme autant de vieilleries anachroniques, le renvoi au niveau de la seule entreprise du “dialogue” social posent de redoutables questions au syndicalisme de lutte et de transformation sociale. Chacun- e voit bien l’intérêt de classe à ajouter à une décrédibilisation du syndicalisme née de la baisse de ses effectifs un discrédit causé par la violence de minorités « avant-gardistes » auto proclamées, tels les Blacks blocs.

Le mouvement des Gilets jaunes, plus complexe, relève du mouvement social du fait de son caractère populaire, d’une partie de ses revendications, notamment dans le domaine de la justice sociale et fiscale. Il s’en distingue faute d’un corpus revendicatif cohérent et relevant d’une construction collective. Il résulte aussi d’une attitude gouvernementale méprisante à l’égard des formes de mobilisation traditionnelles, au risque de la radicalisation et de souffrances dont les mutilés des derniers mois portent témoignage. Au risque également d’une exaspération sociale dont le nationalisme pourrait être l’exutoire. La responsabilité du mouvement syndical est donc grande, non pour canaliser la colère sociale, encore moins l’endiguer, mais pour la cristalliser en revendications concrètes dans le champ de la démocratie. Grève et manifestation de masse, souci de la syndicalisation, conquête de l’opinion, travail avec d’autres à la construction d’alternatives radicales et crédibles restent des outils efficaces.

Matthieu Leiritz, Polo Lemonnier,  UA.