Avec la proposition faite par la NUPES, sur une initiative de LFI, de la co construction à la rentrée 2022 d’une marche associant partis de Gauche, syndicats et associations, le débat, récurrent dans notre organisation, du rapport au politique, passe de la dimension théorique aux travaux pratiques.

C’est bien pour cela qu’il nous faut affiner notre approche théorique de cette question, afin de disposer d’un cadre d’action opératoire, sans avoir à chaque occasion – et sans doute y en aura-t-il d’autres dans les mois et années à venir – les mêmes débats sur la pertinence ou la non pertinence de mener des actions concertées, quelle qu’en soit la nature, avec les partis de Gauche.

Le rapport aux associations pose moins de questions, celles-ci étant moins soupçonnées de concurrencer les syndicats dans leur prérogatives ; par ailleurs la FSU a l’habitude de ce type de relations, notamment dans le cadre récent de Plus jamais ça.

La question délicate concerne donc essentiellement notre rapport aux partis « de Gauche », dont on connaît bien, historiquement, la complexité.

Peut-être convient-il d’écarter un premier sujet, celui de la délimitation des « partis de Gauche ».

Sans doute nos camarades minoritaires, et peut être également en UA, souhaiteront-ils délimiter plus précisément ce groupe, en excluant telle ou telle formation ?

Nous livrer à cette « sélection », outre la promesse de débats assez compliqués et assez longs dont nous pourrions aisément faire l’économie, me semblerait par ailleurs paradoxalement contradictoire avec le processus de rassemblement de la Gauche au sein de la NUPES, même s’il ne s’étend pas à l’ensemble des formations (1. le NPA n’a pas souhaité s’y intégrer, du fait de la présence du PS, à la différence des lambertistes du POI).

Mais l’essentiel n’est pas là.

 

Quels sont les avantages et les inconvénients, pour notre syndicalisme, et donc pour le salariat, à accepter ou à refuser une perspective unitaire de ce type ?

Les inconvénients, voire les dangers sont bien connus.

Ils renvoient aux raisons pour lesquelles le mouvement syndical français, tant la famille issue de la CGT (dont l’actuelle CGT, FO, la FEN puis la FSU et l’UNSA) que de la CFTC (dont la CFDT, la CFTC maintenue mais aussi Solidaires et une partie de la FSU), a depuis le début du XXème siècle manifesté son indépendance vis à vis du politique (2. c’est le sens de la fameuse Charte d’Amiens de 1906).

Le souci est double : d’une part le syndicalisme refuse de déléguer, dans une démarche corporatiste, les questions d’intérêt général (l’organisation politique du pays, les politiques économiques, sociales, sociétales et aujourd’hui écologiques, les relations internationales…) au seul champ politique ; il revendique sa capacité et sa légitimité à se positionner sur l’ensemble de ces questions, en ce qu’elles affectent la vie des travailleurs et conditionnent la possibilité de gagner sur les revendications, tout en arrachant des améliorations matérielles pour le salariat. (3. d’où l’expression de « double besogne »).

 

Concrètement : comment aujourd’hui concilier hausse des salaires et lutte contre le dérèglement climatique ?

D’autre part, et sans doute surtout, l’idée que les adhérent.es doivent être certain.es que les décisions et les orientations syndicales émanent des seuls processus démocratiques internes et d’équipes militantes désignées par eux, et non de formations politiques extérieures et obéissant à leurs propres objectifs électoraux et d’accession au pouvoir. C’est sans doute le sens du reproche fait régulièrement dans les sondages par une majorité assez nette d’un syndicalisme trop « politisé ».

Pour la FSU, il ne saurait être question d’en rabattre sur cette « indépendance » syndicale vis à vis du politique, héritée de nos anciens.

Il en va de même pour la CGT qui a progressivement rompu ses liens organiques avec le PC, idem pour la CFDT avec le PS.

Aujourd’hui ce risque d’instrumentalisation semble cependant assez limité.

Pour partie en raison de cette culture acquise de l’indépendance, mais aussi du fait de l’affaiblissement considérable tant du PS que du PC, de la faiblesse maintenue d’EELV.

Reste le cas de LFI, sorti très renforcé de la séquence électorale du printemps et dont émane la proposition.

Cas compliqué en raison de la nature hybride de LFI, avec un noyau PG issu du PS mais aussi du lambertisme, et de groupes et de militant.es qui se retrouvent davantage dans la nature « gazeuse », peu structurée, du mouvement « insoumis ».

Dans un passé récent, par la voix de Jean-Luc Mélenchon, a existé  – et peut être existe toujours – la tentation sinon de manipuler le syndicalisme de transformation sociale (CGT, FSU, Solidaires) à tout le moins de prendre le leadership du mouvement social, prétendant lui dicter son agenda voire ses thématiques.

Il va de soi que la FSU ne saurait se reconnaître dans cette vassalisation, si par hubris LFI  – ou qui que ce soit – en avait la tentation.

Précisons que cette tentation, loin d’être le seul fait de LFI, fut présente chez toutes les formations politiques de Gauche depuis la fin du XIXème siècle, exception faite d’EELV, car jamais en position hégémonique.

Le risque d’attaques sur le thème du non respect de notre indépendance ne peut être écarté, tant à l’interne qu’à l’externe, ce qui n’est pas forcément l’idéal à quelques mois des élections professionnelles. Nul doute que FO se drape comme toujours dans la posture de l’intransigeance dans le rapport au politique. Que son discours relève de la tartufferie n’a ici que peu d’importance.

 

Faut-il pour autant refuser d’emblée la proposition de la NUPES ?

Il nous semble que non.

Il convient, croyons nous, d’en soupeser les avantages pour notre syndicalisme, et de ne pas céder à la tentation pavlovienne d’un refus de principe, à la FO.

D’abord pour des raisons structurelles, puis conjoncturelles.

Au-delà de cette initiative, le syndicalisme ne confond pas indépendance politique et indifférence au politique : notre action syndicale n’est en aucun cas apolitique, bien au contraire, elle s’inscrit ans une vision progressiste de la société, dans la ligne du mouvement social et démocratique auquel appartient également la Gauche politique.

Le syndicalisme ne peut rester indifférent à l’évolution du paysage politique, et d’abord à Gauche, en ce que in fine c’est bien le pouvoir politique élu, à travers la représentation nationale, qui rend opératoire par la loi ou le règlement les revendications du monde du travail portées par le syndicalisme (4. d’où la recherche du « débouché politique »).

D’où notre soutien à la forme démocratique et sociale du régime politique et notre ferme opposition à toute tentation autoritaire et a fortiori fasciste.

D’où notre intérêt à voir la Gauche plus forte, en capacité de revenir au pouvoir, et donc de procéder à des avancées démocratiques et sociales.

Certes, les exemples abondent de promesses non tenues par un pouvoir « de Gauche », voire de reniements : est-il ici vraiment nécessaire de les lister ?

 

Mais quelle est alors l’alternative ?

Une prise du pouvoir directe par le syndicalisme, dans la tradition du syndicalisme révolutionnaire ?

Perspective peu crédible, convenons-en.

Ajoutons que le patronat, lui, ne se pose guère ces questions : le MEDEF manifeste depuis plusieurs années une remarquable discrétion médiatique – rappelons nous le temps d’Ernest Antoine Sellières – tant la droite LR ou macroniste constitue un débouché efficace.

Le syndicalisme doit donc compter toujours prioritairement sur ses propres forces, mais aussi, sans contradiction nous semble-t-il espérer, voire favoriser (?), l’arrivée de la Gauche au pouvoir, une Gauche qui décevra certes souvent, quand la Droite jamais.

Dans ce cadre, conjoncturellement, le rassemblement d’une partie de la Gauche dans la NUPES est une bonne nouvelle pour le syndicalisme, tant l’unité est une condition nécessaire sinon suffisante pour son accès au pouvoir.

L’électorat de Gauche y semble très attaché, comme en témoigne l’échec des candidatures hors Nupes, mais nous ne disposons cependant pas à ma connaissance actuellement de sondages parmi les syndiqué.es, les groupes se recoupant sans totalement se superposer.

On peut donc faire l’hypothèse d’une certaine bienveillance parmi le salariat syndiqué et l’électorat des professionnelles, à des relations de travail, à des échanges en vue d’analyses partagées, à un dialogue régulier et banalisé entre syndicats et formations politiques. C’est déjà du reste en partie le cas.

Participer à une marche commune constituerait une initiative qui nous engagerait davantage, en nous assignant clairement à un « camp » politique : nous pouvons déjà entendre les commentaires outragés de la Droite (LR, Renaissance, etc…) ou de l’extrême Droite, sur le thème de l’inféodation du syndical au politique, et notamment à LFI, donc à Jean-Luc Mélenchon.

Nous ne devons pas nous dissimuler ce qui est moins un risque qu’une certitude.

Mais par ailleurs, cette initiative peut permettre de redonner une dynamique au mouvement social, une perspective et un espoir au salariat aussi bien qu’au peuple de Gauche.

Enfin, et il s’agit d’un aspect de la bataille culturelle entre la Gauche et le nationalisme réactionnaire, autoritaire et anti syndical, prenons garde au retour de ces forces dans la rue, très visible en gros depuis la « Manif pour tous ». Ne croyons pas que la Gauche politique et le syndicalisme de transformation sociale bénéficient ad vitam d’un monopole dans l’usage des manifestations.

L’enjeu n’est donc pas mineur.

Quelle que soit la décision de la FSU et de ses SN, plusieurs garanties doivent être obtenues pour entrer dans un tel processus.

Certaines vont de soi, comme le débat dans les instances fédérales et les SN, avec la nécessité de vérifier le plus possible l’état d’esprit des syndiqués.

Mais aussi la clarté du texte d’appel et un accord global sur l’arc unitaire, notamment vis à vis d’associations qui pourraient ne pas faire l’unanimité, en raison de leur implication sur des questions sociétales clivantes au sein du mouvement progressiste, notamment – mais pas uniquement –  sur la question laïque.

D’autres ne dépendent pas de nous comme la participation, a minima, des syndicats avec lesquels nous agissons traditionnellement de concert, notamment dans la perspective de création d’un nouvel outil syndical, CGT et Solidaires en premier lieu.

Enfin, cette initiative, débattue avec les syndiqué.es, ne saurait affaiblir la portée de la journée intersyndicale en cours de décision en septembre.

Une forme médiane ne serait-elle pas de proposer que les forces syndicales qui le souhaitent, sans participer à une « co-construction », s’associent à cette journée sur initiative Nupes ?

Veillons enfin à ne pas importer dans la fédération et nos SN les divisions qui demeurent vives à Gauche car personne ne sait si la Nupes s’inscrira dans la durée.

C’est bien parce que nos anciens savaient le caractère mortifère d’une telle dérive qu’à Amiens en 1906 fut martelé le principe intangible de l’indépendance syndicale.

Cet héritage, selon nous, ne saurait être remis en question.

Rachel Schneider, Matthieu Leiritz

23 août 2022