Contextualisation

Alors même que la non existence des « races » humaines est scientifiquement admise, les « races » continuent de faire parler d’elles.

Il y a d’abord leur emploi dans les thèses racistes. Même si, il faut bien le dire, les discours racistes parviennent très bien à se passer du mot « race » pour inférioriser tels ou tels groupes. La sociologue Sarah Mazouz l’explique : « C’est le cas par exemple de l’adjectif « ethnique », qui est souvent conçu comme une manière acceptable de qualifier les processus qui relèvent, en fait, des logiques de racialisation, sans avoir à utiliser les termes de race, de racialisation ou de racisation, comme si le terme en lui-même permettait de prémunir du geste d’essentialisation et d’assignation racialisante. On peut dire « ethnie » et penser « race » dans l’acception raciste du terme ».

Il y a aussi l’utilisation du mot « race » pour désigner l’une des modalités sociales de production des inégalités entre les groupes… Car comme le disait Colette Guillaumin (1934-2017), la race « n’est pas empiriquement valide », mais elle n’en est pas moins « empiriquement effective ». Il s’agit alors de mettre des mots sur l’expérience sociale qui correspond au fait d’être assigné racialement, et soumis à des formes multiples de discriminations.

Plus précisément, les mots de « racisé·e » et « racialisé·e » permettent de découpler clairement la question raciale de celle de la couleur de peau : la question par exemple n’est pas « d’être noir », mais de vivre, de subir, la « condition noire ».

Racialisation, employé par Frantz Fanon (1925-1961), est un terme utilisé par la recherche en sciences sociales pour mettre en lumière les logiques de production des hiérarchies raciales. Sarah Mazouz précise que racialisation « permet donc de rendre compte de la production de groupes soumis à l’assignation raciale, tout en examinant aussi les mécanismes qui amènent un groupe à tirer profit des logiques de racialisation ».

La « racisation », chez Colette Guillaumin notamment, « désigne le processus par lequel un groupe dominant définit un groupe dominé comme étant une race ». Certaines personnes sont ainsi « racisées » pour être infériorisées. C’est donc plutôt ce terme-là qui est utilisé par des militant·es de l’anti-racisme pour parler des groupes qui subissent un rapport de pouvoir racialisant.

Cependant, des personnes peuvent refuser de se voir ainsi « assignées à résidence », ou renvoyées à une supposée identité de « race », de genre ou d’orientation sexuelle, sans pour autant manquer de solidarité avec la lutte contre toutes les discriminations.

Par ailleurs, utiliser ces concepts peut provoquer une réaction de rejet de celles et ceux qui se sentent renvoyé·es à un groupe dominant. Le problème est le même que pour le féminisme : dénoncer une logique d’infériorisation (qui permet d’entrelacer oppression et exploitation), n’est pas désigner individuellement coupable chaque personne qui ne vit pas l’expérience de la racisation.

Mais cela peut être ressenti ainsi, déclencher chez les un·es un réflexe de culpabilisation, voire provoquer chez les autres une réaction de repli identitaire. Le résultat serait donc non pas une prise de conscience de la réalité d’une oppression, mais la rupture entre alliés possibles

C’est la lecture de Gérard Noiriel, dans Enjeux 271, octobre 2021 :

« Pierre Bourdieu a montré que la violence symbolique qu’exercent les dominants sur les dominés peut conduire ces derniers à reprendre à leur compte le langage et les références des dominants. C’est ce qui s’est passé dans une fraction de la jeunesse concernée à la fois par son identité de classe (milieu populaire) et son identité d’origine (symbolisée par la religion, la couleur de peau etc). L’affaiblissement du discours social a conduit nombre d’entre eux à se définir uniquement (ou principalement) à partir de leur religion ou de leur « race ». Nous pensons, Stéphane Beaud et moi, que ces replis communautaires sont une impasse sur le plan politique car ils contribuent à diviser des gens qui font partie des classes populaires et qui ont donc des intérêts communs. »

Une autre difficulté provient d’un débat entre des militant·es qui pourraient privilégier un éclairage particulier, voire prioritaire, sur telle ou telle forme de domination plutôt que la revendication générale d’une égalité universelle. Le mouvement ouvrier a fait sien l’universalisme abstrait de la révolution française. Il lui a fallu plus d’un siècle pour intégrer les revendications féministes, la question peut être posée d’une meilleure intégration des revendications d’égalité suscitées par un traitement « racisé » de certain·es travailleurs·euses.

Quelle que soit l’utilisation de notions (par ailleurs utiles) qui peut être faite par des groupes revendiquant leurs particularismes, ne nous perdons pas dans une opposition stérile Universalisme VS particularismes, rappelons-nous plutôt que l’universalisme est une position philosophique autant qu’un but à atteindre. Lutter contre une inégalité particulière ne disqualifie pas a priori cette mobilisation, qui a sa place dans l’objectif d’universalisme.

Dans le texte du congrès

Les militant·es de la tendance Ecole Emancipée utilisent fréquemment les concepts de racisé·e/racialisé·e, et peuvent faire pression sur des camarades qui ne maîtrisent pas ces notions pour l’écriture de textes qui, de ce fait, « échappent » aux non spécialistes.

Le plus simple est de rappeler que les textes fédéraux doivent pouvoir être compris de tou·tes les adhérent·es, et au-delà des agent·es que nous représentons. Pour être compris, il ne s’agit pas de bannir tel ou tel terme, mais de veiller à ce qu’ils ne soient pas employés de manière incantatoire, et surtout qu’ils ne prennent pas ainsi la place d’une nécessaire explicitation du problème abordé, du mandat proposé.

La FSU assume ses valeurs et ses mandats, parmi lesquels la lutte contre toutes les inégalités. La manière de les exprimer et de les porter doit pouvoir être comprise largement.